Hommage de l’EPI à Claude Pair (14-06-2019)

Association Enseignement Public et Informatique (EPI)

A l’occasion de la journée du 14 juin l’EPI tient à vous remercier pour le soutien que vous lui avez apporté au cours de la décennie 80. Sans cette aide soutenue et sans faille l’association ne serait pas devenue cette association dont le rôle dans le déploiement de l’informatique dans le système éducatif est largement reconnu.

Nous aimerions évoquer ici quelques souvenirs toujours dans la mémoire de celles et ceux qui vous ont connu à cette époque pionnière où se mettait en place à la fois l’introduction d’un enseignement optionnel de l’informatique au lycée d’enseignement général et l’utilisation de « l’outil » informatique dans les différentes disciplines (en prolongement de la décennie 70).

Le rapport Pair-Le Corre, en 1981

Ce fut d’abord la mission d’étude que vous avait confiée, ainsi qu’à Yves Le Corre, le ministre Alain Savary. L’un d’entre nous se souvient des rencontres que nous avons eues avec vous. Nous étions tous convaincus qu’il fallait relancer et amplifier les formations « lourdes », démarrer l’option informatique des lycées (qui avait été proposée par Jacques Arsac au directeur des lycée Jean Saurel) et donner les moyens à la recherche pédagogique dans des domaines où tout était à inventer

Votre rapport sera remis au ministre le 15 octobre 1981. Vous l’évoquez quelques années plus tard lors de l'assemblée générale de la régionale EPI-Alsace, en mars 1987 :

« Dès 1981, on rétablit donc les stages d'un an, et progressivement on les étend à un centre par académie. On organise des équipes académiques de formateurs qui existent encore aujourd'hui. Nous avions aussi recommandé, entre la formation d'un an pour les formateurs et les concepteurs de logiciels d'une part et une formation légère d'une centaine d'heures pour les utilisateurs, une formation intermédiaire à l'animation, mais cela n'a pas vu le jour. Nous avions aussi insisté sur le fait que les projets devaient venir des établissements. Il ne s'agissait pas de parachuter cette informatique, c'est-à-dire qu'il fallait que les établissements sachent ce qu'ils voulaient faire de leur informatique. C'est donc en fonction de tels choix qu'une formation devait être diversifiée, par exemple, sur 100 heures, 50 heures communes et 50 heures plus modulaires.

     Nous avons aussi essayé de désamorcer cette fameuse querelle « est-ce que l'Informatique est une discipline ou un outil d'enseignement ? » en disant « cela doit être l'un et l'autre ; il faut que l'un appuie l'autre ». Du côté d'une informatique-discipline, on a créé une option informatique en classes de seconde, première et terminale, qui est pilotée par un Comité scientifique National. Nous avons également recommandé d'introduire l'informatique à tous les niveaux de l'enseignement du second degré, en particulier dans les LEP qui n'en avaient pas bénéficié jusqu'à cette époque nous avons été plus prudents quant à l'introduction de l'informatique à l'école primaire. »

Ce rapport est en ligne sur le site de l’EPI, on peut lire en introduction :

«L'informatique est à la fois une technique, un phénomène de civilisation, un outil d'enseignement, une science autonome et formatrice.

Si le fait qu'elle est une technique justifie l'existence de classes destinées à préparer certains élèves aux professions qu'elle ouvre, il faut que tout élève se soit trouvé à son contact pendant sa scolarité, pour qu'il puisse dominer ce phénomène de civilisation, qu'il ait pu poser les questions nécessaires à sa compréhension et recevoir des réponses suffisantes.

Ce contact peut se faire à l'occasion de l'emploi de l'informatique comme outil d'enseignement, qu'il s'agisse d'enseignement assisté par ordinateur, de développement des capacités logiques par diverses formes de programmation ou de documentation automatisée. On peut penser qu'il faudra dans les années à venir aller plus loin et introduire une véritable discipline informatique pour les élèves. Ce point étant encore controversé, nous avons proposé l'ouverture d'un nombre limité d'options informatiques, dans des conditions qui permettront de tirer des conclusions des résultats obtenus. »

Sur le site de l’EPI se trouvent également des articles dans lesquels vous traitez de programmation ou plus exactement de son apprentissage par les plus jeunes. Vous soulignez que la programmation est un savoir-faire qu'il faut acquérir. Comme pour tous les savoir-faire doivent être associés des savoirs, en la circonstance des savoirs informatiques. Mais si leur connaissance est indispensable pour acquérir une méthode de programmation, elle ne suffit pas. Ainsi, vous mentionnez notamment une originalité de l'activité de programmation, qui a des implications pédagogiques : son résultat n'est pas seulement un programme. Il faut rendre celui-ci communicable et pour cela l'accompagner d'un dossier qui explique au mieux comment le programme a été obtenu.

Alors, comment acquérir ce savoir-faire de la programmation ? Dans votre article « L'apprentissage de la programmation » vous apportez réflexions et réponses. Nous nous en sommes inspirés.

Vous succédez à Jean Saurel à la direction des lycées en 1981

Vous créez le Comité scientifique national (CSN) présidé par André Danzin, président de l’AFCET, l’EPI y sera représentée par son secrétaire général. Ce comité assure le suivi de l’option informatique qui démarre à la rentrée 81 dans une douzaine de lycées.

L’EPI vous rencontre régulièrement pour faire le point sur les difficultés des enseignants aussi bien dans la pratique de l’outil dans les disciplines (EAO) que dans l’enseignement de l’option informatique, sur la formation des enseignants, les matériels, les décharges de service indispensables ...

En accord avec le CSN, l’association propose en 1982 l’extension du nombre de lycées expérimentaux et une épreuve orale au baccalauréat portant sur le programme mais aussi sur le projet réalisé pendant l’année de terminale,

Dans une note aux recteurs (mars 1983) vous annoncez l’extension de l’option informatique à la classe terminale dans les 12 lycées expérimentaux et la généralisation de son ouverture, dans la mesure du possible, aux élèves de seconde.

Le grand colloque 1983 organisé par le MEN en collaboration avec l’EPI

Vous avez accepté d’animer la table ronde n°5 « Informatique et culture générale. Quelle place donner à l'informatique dans la formation générale ? » Dès l’introduction vous déclarez :

« Il [le sous-titre de la table ronde] fait écho à la visée des pionniers de l'entrée de l'informatique dans l’Éducation nationale, en 1970 : il s'agissait alors d'introduire l'informatique dans l’enseignement secondaire général (au sens de non-professionnel). Donc dès l’origine, c'est bien la formation générale qui était visée.

Cependant, en même temps, le choix était fait de ne pas considérer l’informatique comme une nouvelle discipline, au même sens que l'histoire ou la physique par exemple. Cela a peut-être conduit, au fil des ans, à trop réduire l'informatique au rôle d’un outil d'enseignement, ce qui était sans doute une déviation par rapport à l’idée initiale.

C'est vrai que l'informatique est d'abord un outil, une technique. Et un outil n’a pas, la plupart du temps, à figurer dans la formation générale, même si c'est un outil de formation (on n'enseigne pas, par exemple, l'imprimerie, en dehors de cours professionnels spécialisés).

Seulement, voilà, pour l'informatique, il s'agit d'un outil « universel », ou en tout cas qui est utilisé dans des domaines très nombreux et très variés et, à ce titre, elle a sans doute sa place dans une formation générale qui - tentons-en une définition - doit développer les capacités utiles à tous les jeunes, et notamment à leur vie personnelle et à leur insertion sociale, permettre une orientation professionnelle et fournir les bases sur lesquelles pourra être construite une qualification.»

et quelques lignes plus loin :

« L’informatique n’est pas seulement un outil et un objet d’enseignement, selon une distinction et une opposition trop classique, mais un fait de civilisation générateur de nouveaux objectifs d’enseignement »

D’où l’importance de la recherche pédagogique. Il est très important qu’une nouvelle discipline comme l’informatique réfléchisse à ce qu’elle peut apporter aux élèves et dans quelle mesure elle peut permettre de lutter contre l’échec scolaire « besoin primordial de notre enseignement ».

Ce que l’informatique apporte de plus, c’est la nécessité de réfléchir à la pédagogie et de diversifier les démarches dans les différentes disciplines et activités. « On est gagnant si on invente des situations pédagogiques nouvelles » dites-vous dans votre intervention lors de l’assemblée générale de la régionale EPI-Alsace en mars 1987.

Là encore nous sommes pleinement en accord avec vous.

Les colloques francophones de didactique de l’informatique.

Dans le premier colloque francophone de didactique de l’informatique co-organisé par l’EPI et l’AFIT qui s’est déroulé à l’université René Descartes (Paris) les 1, 2 et 3 septembre 1988, vous avez fait une brillante intervention sur « L’apprentissage de la programmation ». Dans votre allocution de clôture où vous représentiez Lionel Jospin, ministre de l’Éducation nationale, vous vous êtes félicité de « l’osmose entre l’enseignement supérieur et la recherche d’une part, l’enseignement primaire et secondaire d’autre part ». Vous avez souligné à juste titre que l’aspect scientifique d’un tel colloque permet de dépasser les querelles qui resurgissent périodiquement entre l’informatique outil ou objet d’enseignement, discipline ou non !

L’EPI qui prône depuis sa création la « complémentarité » des approches de l’informatique approuve sans réserve.

Mais l’évolution de la société et de l’École vous inquiètent. Dans votre conférence au dernier colloque de l'AFDI à Monastir en 1996 : "L'informatique science humaine ou inhumaine ?" vous vous montrez préoccupépar la croissance des inégalités et le morcellement de la société. L’école saura-t-elle y faire face ? Quel peut être le rôle de l’informatique ? Le dernier mot de votre intervention est le mot "éthique".

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Nous savons par les échanges que nous avons eus et la lecture de vos écrits que vous avez toujours été préoccupé par le fossé que l’informatique crée entre les plus faibles et celles et ceux qui se meuvent plus aisément dans l’abstrait. Il faut veiller à ce que l’école n’en rajoute pas. Travailler à la réussite des plus modestes a toujours été votre priorité notamment à la Direction des lycées.

L’EPI qui, depuis sa création en 1971, veut faire de l’informatique et des technologies de l’information en général un facteur de progrès et un instrument de démocratisation ne peut évidemment que se sentir en plein accord.

Plus généralement, dans votre livre « Rue du bac, une nouvelle donne pour l’école », vous vous penchez sur le fonctionnement inégalitaire de l’enseignement en France qui ne permet pas l’épanouissement des capacités de tous et risque de favoriser un « éclatement de la société entre les dirigeants, les exécutants et les assistés ». Vision lucide s’il en est.

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Ce ne sont que quelques souvenirs auxquels nous tenons et l’occasion de vous remercier encore pour vos actions en faveur du déploiement de l’informatique sous ses différentes formes dans l’enseignement.

L’EPI continue à militer, à presque cinquante ans d’âge, pour la formation par l’Éducation nationale des jeunes générations à la science et technologie informatique et à ce qu’on appelle maintenant le numérique. Avec d’autres, elle a obtenu des créations qui, si elles ne nous satisfont pas complètement, sont néanmoins des avancées importantes.

Et l’association n’oublie pas le rôle des pionniers. Elle s’emploie dans ses publications à leur rendre justice.

Jean-Pierre Archambault

Président de l’EPI

Jacques Baudé

Président d’honneur

pour le Bureau national

Paris, mai 2019

La première version du florilège (27 contributions) est en ligne à :

http://lesquere.fr/pair/Florilège_Claude_Pair-v5.pdf